La Bête en sa fourrure de pixels Cinéma Christophe Gans propose une relecture luxuriante de La Belle et la Bête» Il ne parvient pas à faire oublier le film de Cocteau Jean Cocteau vient en personne signer le générique de La Belle et la Bête. Sur le tableau noir, il inscrit de sa belle écriture ronde le nom des comédiens et les quatre mots magiques», la formule qui suspend l’incrédulité Il était une fois»… Christophe Gans procède à une mise en abyme. Une mère lit une histoire à ses enfants sages. Les images de l’album prennent vie. Un conte, deux témoignage s de l’évolution du 7e art entre 1946 et dieux et les héros se changent en animaux dans les plus ­anciennes mythologies – qu’on se souvienne de Zeus transformé en cygne ou en taureau pour ­draguer Léda et Europe. En 1740, Gabrielle-Suzanne de Villeneuve modernise ce thème cher à Ovide; il devient très populaire dès 1857 avec la version de Madame Leprince de Beaumont. Féru de lycanthropie, puisque la Bête du Gévaudan lui a inspiré Le Pacte des loups, Christophe Gans était destiné à adapter ce conte transgressif tournant autour de la bestialité, c’est-à-dire la passion d’une femme pour un hybride mi-homme, mi-animal, un demi-dieu à proprement parler», explique le réalisateur dans Première. Traversant de nuit un jardin mystérieux, un marchand ruiné cueille une rose pour la cadette de ses filles. Le maître des lieux, un monstre léonin, surprend le pauvre homme et le condamne à mort pour ce larcin – à moins que Belle n’accepte d’expier le sacrilège du courageuse enfant se constitue prisonnière dans le château où vit la Bête, grand seigneur velu, cruel carnassier. Il ne tue pas sa captive, mais l’envoûte; elle ne tremble plus devant son maître, elle l’apprivoise, elle découvre la bonté de l’abominable… Jean Cocteau n’avait que son imagination pour créer les effets spéciaux les bras vivants sortant des murs pour brandir les chandeliers, les cariatides aux yeux mobiles nous hantent encore. Christophe Gans a tourné sur les plateaux géants de Babelsberg, près de Berlin, et bénéficié de la toute-puissance de l’imagerie générée par ordinateur. A l’étrangeté inquiétante de jadis, que la photographie d’Henri Alekan aiguise en creusant les ombres, succède ce rien de mégalomanie que favorisent les possibilités virtuelles domaine de la Bête devient une enclave de sauvagerie enchantée, une sorte de Shangri-La dans l’hiver rude; son château combine les volumes de la cathédrale de Chartres, les jardins suspendus de Babylone et les vertiges du Machu Picchu. La gigantesque salle de banquet abrite une colonie d’attendrissants marmousets, hybrides de mogwai Gremlins et de fourreux La Quête de l’oiseau du temps. Dans une vasque sans fond ondulent des filaments stellaires de magie pure…A cultiver le grandiose, le cinéaste passe à côté de l’essentiel. Les dialogues sont pauvres, les rapports entre le seigneur féroce et sa blonde captive insignifiants, et les comédiens empruntés de n’avoir pas grand-chose à défendre. Où sont passés le feulement douloureux de Jean Marais sous son pelage On ne dit pas Monseigneur, on dit la Bête…», la honte du monstre en pourpoint lorsque son instinct de prédateur l’entraîne à la chasse, lorsqu’il lape comme un film de Cocteau frappe par la nature sadomasochiste du lien unissant le fauve et la vierge Josette Day. Vous êtes le maître», dit-elle. Non», rauque-t-il, conscient de son animalité, rampant en quête d’amour au pied de la frêle femme… Tandis que Vincent Cassel, augmenté d’une queue de lion du plus bel effet, court à quatre pattes, bondit sur la Belle Léa Seydoux qui fuit, la plaque contre la glace d’un lac gelé, qui se brise, sacré symbole!Chez Cocteau, les frères de Belle veulent faire main basse sur les trésors de la Bête. Ils s’introduisent dans un pavillon; une Diane de marbre leur décoche une flèche mortelle. Chez Gans, les frères s’acoquinent avec une bande de malandrins. Ils pillent le château, sont attaqués et réduits en bouillie par des statues colossales. Le cinéaste a-t-il ressenti un ­complexe par rapport à J ack et le ­chasseur de géants, de Bryan Singer? A Pacific Rim, de Guillermo del Toro? A-t-il eu la trouille qu’un simple monstre ne suffise à frapper d’effroi les spectateurs? Cette concession au spectaculaire s’avère ridicule. Menant l’assaut juchée sur l’épaule d’un titan de pierre, la Bête n’est pas plus effrayante qu’un hamster. Chez Cocteau, filmée au second plan, hiératique, juste une ombre dans les ombres, elle inspire terreur et par un poète, le premier film se pose en chef-d’œuvre éternel; conçu par un scénariste et technicien, le second a tout de la sensation saisonnière. Et le dessin animé de Disney? Restons sérieux…Ils vécurent très longtemps et eurent beaucoup d’enfants.» Les héros de Cocteau s’inscrivent dans une tradition féerique française, fort vivace pendant l’Occupation et la Libération. Donc ils s’envolent vers leur destin bienheureux aux vertus consolatrices. Rendue à sa nature humaine, la Bête de Gans épouse la Belle. Ils ont deux enfants. Le grand-papa vit sous leur toit. Ils gèrent une entreprise d’horticulture. Dans un souci de refléter la crise économique, La Belle 2014 sacrifie l’onirisme sur l’autel du pragmatisme bourgeois. VV La Belle et la Bête, de Christophe Gans France, 2014, avec Vincent Cassel, Léa Seydoux, André Dussollier. 1h52. Menant l’assaut juchée sur l’épaule d’un titan de pierre, la Bête n’est pas plus effrayante qu’un hamster